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Chapitre 8
La Pensée et la Conscience des Automates
Le concept d'automate qui est aujourd'hui à la base des
ordinateurs les plus perfectionnés, y compris ceux munis
d'une intelligence artificielle, est devenu si large qu'il est
capital de bien définir ce qui n'est pas
un automate. Par exemple, jusqu'au moment de la pénétration
consciente de l'homme dans l'espace interplanétaire, le
système solaire fonctionnait en automate. Depuis lors,
de temps à autre, son fonctionnement n'est plus totalement
automatique puisqu'il est soumis à la volonté, aux
désirs et à la curiosité de l'homme.
Dans ce que nous appelons une optique structurale-phénoménologique
de la réalité, tous les objets du monde matériel
peuvent être répartis en trois classes: automates,
non automates et mixtes (c'est à dire partiellement automatiques
et partiellement non automatiques).
Tous les objets structuraux sont des automates, soient-ils constitués
de structures physiques (de substance), ou de structures informationnelles
ou encore de structures physico-informationnelles. N'importe quel
objet physique, en l'absence d'organismes vivants, fonctionne
et évolue conformément aux lois de la physique,
automatiquement. N'importe quel programme de calcul (objet informationnel)
est un automate.
Le seul objet absolument non automate de l'existence est la matière
profonde. Le caractère non automatique de la composante
informationnelle de la matière profonde, lorsque celle-ci
fait partie d'un organisme, prête à ce dernier des
propriétés non automatiques.
La classe des objets mixtes comprend les organismes vivants,
particulièrement l'homme et la société. Les
objets mixtes sont toujours structuraux-phénoménologiques.
Il en résulte que, même si les structures sont apparues
par des processus non automatiques, tout ce qui est structural
est automatique. En ce qui concerne le caractère de non
automate, celui-ci est toujours relié, dans les objets
mixtes, au phénoménologique, à l'accession
de ces objets à la matière profonde informatérielle.
Les automates, une fois définis comme ci-dessus, se divisent
à leur tour en deux sous-classes: syntactiques et sémantiques.
-
les automates syntactiques fonctionnent en suivant exactement
des règles sans utiliser la signification de ce qu'ils
font et donc, évidemment, sans avoir de conscience. Si
l'on envisage un automate évolué, avec entrées
et sorties, avec un comportement qui s'inscrit dans une mémoire
ou réagit aux événements extérieurs
d'après certaines règles, toujours les mêmes,
on peut dire en pareil cas que sa pensée est instinctive,
câblée.
-
les automates sémantiques sont utilisés par l'intelligence
artificielle, les systèmes expert, les robots intelligents
etc. Ces derniers disposent aussi d'un comportement psychique
car ils comprennent ce qu'ils font, jugent et prennent des décisions.
De tels automates sont-ils ou non conscients? La réponse
à cette question ne semble pouvoir être donnée
qu'en les comparant avec ce que l'on sait de l'homme. Cependant,
dans le cas de l'être humain, les choses ne sont pas si
bien précisées puisqu'on continue à débattre
du conscient et de l'inconscient et, en général,
du phénomène de conscience. Dans ces conditions,
une discussion centrée sur l'automate sémantique
présente l'avantage de considérer un objet nouveau
qui, tout en étant structural, présente des phénomènes
psychiques. Autrement dit, l'automate sémantique peut être
envisagé comme un "homme réduit" au structural,
ce qui nous aidera à clarifier le problème des types
de processus conscients et inconscients.
On distingue trois types d'activité dans le cas d'un automate
sémantique:
-
Activités inconscientes instinctives, quand une
partie de son comportement est de type syntactique.
-
Activités intelligentes aptes à résoudre
certains problèmes grâce à la compréhension
qu'il a du domaine dans lequel les problèmes se posent,
propriété qui lui permet de dialoguer avec l'homme.
Pourtant, bien qu'il ait un comportement psychique et qu'il puisse
éventuellement être câblé à un
système de valeurs (formalisé), il n'est pas conscient
et ne possède même pas une conscience-de-soi formelle,
de sorte que son activité demeure "inconsciente".
Mais ce genre d'"inconscience" n'est pas instinctive,
elle n'est même pas de l'inconscience au sens propre du
terme, elle est plutôt un état de
préconscience.
-
Activités intelligentes quand l'automate sémantique
a une conscience-de-soi formelle, programmée lors même
de sa construction et intervenant dans ses opérations informationnelles,
en le représentant et influençant ses décisions.
Dans un tel cas, il s'agit d'un automate sémantique entièrement
muni de conscience, structurale et formelle d'un côté,
inconsciente d'un autre parce qu'elle ne s'organise pas tout autour
de la conscience-de-soi comme chez l'homme. C'est une espèce
de conscience inconsciente qu'on pourrait appeler subconscient.
Il est possible donc d'admettre pour les automates trois formes
d'inconscient, instinctif (câblé), préconscient
et subconscient. Ils n'ont pas de pensée consciente, c'est-à-dire
une pensée organisée autour de la conscience-de-soi,
évidente chez l'homme et impliquant aussi des significations
phénoménologiques; mais ils ont tout de même
soit un subconscient, soit une préconscience. L'homme possède
une pensée consciente en plus de celle des automates sémantiques,
présentant ainsi, également, un subconscient, un
préconscient et un inconscient instinctif.
Il est intéressant de rappeler que Freud a formulé,
sans trop les préciser, il est vrai, les notions de pensée
consciente et de pensée inconsciente, mais comme Perry
et Laurence [1984] le disent: "... probablement, nous ne
sommes pas plus près que n'a été Freud lui-même
de comprendre ce qu'est cette pensée inconsciente. Néanmoins,
elle semble être un phénomène qui requiert
d'être compris car il a l'air d'être un des aspects
centraux de la vie humaine". A la lumière de l'automate
sémantique, de l'intelligence artificielle, la pensée
inconsciente apparaît d'elle-même comme une forme
objective et expérimentale, de sorte que si l'on accepte
que l'homme soit en partie un automate, alors cela veut dire que
l'homme dispose des deux formes de pensée dont parlait
Freud. Il n'est pas exclu que Freud ait compris par pensée
inconsciente tant ce que nous venons de définir comme subconscient,
que le préconscient. En effet, Freud considérait
l'inconscient comme contenant des idées et des impulsions
(d'habitude sexuelles) instinctives et agressives, réprimées
dans l'enfance, donc un inconscient instinctif. Avec sa première
théorie des processus mentaux (voir son ouvrage sur l'Interprétation
des songes, 1900), Freud place entre le conscient et l'inconscient
une zone intermédiaire de transfert ("buffer"),
un préconscient qui pourrait, aujourd'hui, être expliqué
par l'ensemble subconscient-préconscient défini
plus haut. Pourtant, bien que le parallèle automate-homme
soit assez évident, il faut quand même tenir compte
du fait que dans le cas de l'homme le subconscient, le préconscient
et l'inconscient instinctif acquièrent aussi des formes
structurales-phénoménologiques, et non seulement
structurales comme c'est le cas de l'automate. Il n'y a pas lieu
cependant de nous occuper maintenant de ces nuances et de leurs
implications.
La pensée suppose le phénomène de la compréhension
lequel peut n'être qu'entendement (signification) pour les
automates, mais qui est toujours entendement et conscience chez
l'homme. La conscience suppose en plus un moi, une partie privilégiée,
liée à la conscience-de-soi lorsqu'il s'agit d'automates
ou de la prise-de-conscience-de-soi chez l'homme. Il est probable
que ces deux conditions (l'entendement et le "moi")
représentent les critères minimaux pour définir
une conscience. L'entendement implique la connaissance, non seulement
la science et les connaissances pratiques mais aussi, dans le
cas de l'homme, un ensemble de connaissances qui offrent un support
théorique à son existence, tels les mythes, les
croyances, les idéologies et, en général,
les diverses formes de la culture. Quant au "moi", celui-ci
n'implique pas seulement l'attention qu'une partie de la conscience
prête aux autres, mais aussi un système de valeurs,
puisque le "moi" lui-même représente la
mise en exergue d'une partie de la conscience.
Dans ces conditions, le préconscient de l'automate n'est
pas une conscience totale car, tout en possédant l'entendement
(l'intelligence), il ne possède pas le moi et par conséquent
ne peut satisfaire à aucun des critères fondamentaux
d'une conscience. Le subconscient de l'automate est, par contre,
une conscience, puisqu'il comporte et entendement et "moi",
mais c'est une pensée artificielle inconsciente.
Un autre aspect de la pensée des automates sémantiques
est celui de la conscience sociale. Étant le produit de
la société, les automates sémantiques acquièrent
de la connaissance sociale implicitement présente dans
le logiciel. En premier lieu, ils peuvent être porteurs
d'intelligence sociale et, en second lieu, de valeurs
sociales qu'ils vont d'ailleurs respecter avec plus de rigueur
que ne le fait l'homme.
Mais ce qui compte est le fait qu'un automate sémantique
est capable d'avoir une conscience sociale. Il est même
possible qu'il ait davantage qu'une simple conscience sociale,
c'est-à-dire qu'il dispose, outre l'entendement, d'un système
social de valeurs qui joue le rôle d'un "moi social".
Techniquement, cela est parfaitement possible. En pareil cas,
l'automate a un subconscient muni d'une certaine forme de conscience
sociale. Autrement dit, il est possible que des automates sémantiques
ne disposent d'aucune espèce de personnalité, possédant
seulement une conscience sociale. Tout ce qui a lieu dans le cadre
d'un tel automate sémantique est placé sous la gouverne
très attentive de son système de valeurs sociales,
lequel exerce une censure rigoureuse de tout ce qui y contrevient.
Un tel automate est de la société matérialisée.
Au cas où l'automate est personnalisé (ayant un
"moi" qui est une structure privilégiée
de sa conscience) et dispose également d'un système
de valeurs sociales, alors il fonctionne comme un "moi"
plus complexe, personnel et social à la fois. Il serait
intéressant de faire des expériences avec un tel
automate au comportement en partie individuel et en partie social.
Tout comme chez l'homme, le social représente une part
du moi individuel mais ce qui compte c'est l'importance qu'il
a dans le comportement; dès lors, dans le cas d'un automate
à comportement socio-personnel, il serait normal que l'importance
du social soit prédominante, du fait que l'automate est
un produit de la société. Seuls des automates sémantiques
créés ou transformés par des techniciens
spécialisés solitaires (isolés de la société)
pourraient avoir des formes de moi présentant des accents
plus prononcés d'individualisme, à moins que cela
ne soit interdit par la loi. Probablement les automates sémantiques
devront se contenter de leur caractère de produits de la
société, c'est-à-dire de la conscience sociale,
et ce parce que nous gardons l'espoir de voir la société
évoluer vers le "bien". Ils auront alors une
conscience de la civilisation socio-humaine ce qui leur permettra
d'influencer également la spiritualité de l'homme,
c'est-à-dire sa conscience vivante.
Jusqu'à présent néanmoins, toute la théorie
des automates se réfère aux automates syntactiques.
Il n'existe pas encore de théorie générale
des automates sémantiques de l'ampleur de la théorie
des automates syntactiques. Quoiqu'il en soit, les plus grandes
difficultés se présentent lorsque les automates
commencent à présenter les formes de préconscience
et surtout de subconscience décrites ci-dessus. Le fait
de vaincre pareilles difficultés aura de l'importance aussi
dans le développement d'une théorie générale
des objets mixtes (à la fois automates et non automates),
qu'on peut considérer comme des organismes abstraits.
[Table des matières]
[Préface]
[Chapitre 1]
[Chapitre 2]
[Chapitre 3]
[Chapitre 4]
[Chapitre 5]
[Chapitre 6]
[Chapitre 7]
[Chapitre 8]
[Chapitre 9]
[Chapitre 10]
[Chapitre 11]
[Chapitre 12]
[Chapitre 13]
[Glossaire]
[Références bibliographiques]