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Chapitre 8

La Pensée et la Conscience des Automates




Le concept d'automate qui est aujourd'hui à la base des ordinateurs les plus perfectionnés, y compris ceux munis d'une intelligence artificielle, est devenu si large qu'il est capital de bien définir ce qui n'est pas un automate. Par exemple, jusqu'au moment de la pénétration consciente de l'homme dans l'espace interplanétaire, le système solaire fonctionnait en automate. Depuis lors, de temps à autre, son fonctionnement n'est plus totalement automatique puisqu'il est soumis à la volonté, aux désirs et à la curiosité de l'homme.
Dans ce que nous appelons une optique structurale-phénoménologique de la réalité, tous les objets du monde matériel peuvent être répartis en trois classes: automates, non automates et mixtes (c'est à dire partiellement automatiques et partiellement non automatiques).

Tous les objets structuraux sont des automates, soient-ils constitués de structures physiques (de substance), ou de structures informationnelles ou encore de structures physico-informationnelles. N'importe quel objet physique, en l'absence d'organismes vivants, fonctionne et évolue conformément aux lois de la physique, automatiquement. N'importe quel programme de calcul (objet informationnel) est un automate.
Le seul objet absolument non automate de l'existence est la matière profonde. Le caractère non automatique de la composante informationnelle de la matière profonde, lorsque celle-ci fait partie d'un organisme, prête à ce dernier des propriétés non automatiques.
La classe des objets mixtes comprend les organismes vivants, particulièrement l'homme et la société. Les objets mixtes sont toujours structuraux-phénoménologiques. Il en résulte que, même si les structures sont apparues par des processus non automatiques, tout ce qui est structural est automatique. En ce qui concerne le caractère de non automate, celui-ci est toujours relié, dans les objets mixtes, au phénoménologique, à l'accession de ces objets à la matière profonde informatérielle.

Les automates, une fois définis comme ci-dessus, se divisent à leur tour en deux sous-classes: syntactiques et sémantiques.

Il est intéressant de rappeler que Freud a formulé, sans trop les préciser, il est vrai, les notions de pensée consciente et de pensée inconsciente, mais comme Perry et Laurence [1984] le disent: "... probablement, nous ne sommes pas plus près que n'a été Freud lui-même de comprendre ce qu'est cette pensée inconsciente. Néanmoins, elle semble être un phénomène qui requiert d'être compris car il a l'air d'être un des aspects centraux de la vie humaine". A la lumière de l'automate sémantique, de l'intelligence artificielle, la pensée inconsciente apparaît d'elle-même comme une forme objective et expérimentale, de sorte que si l'on accepte que l'homme soit en partie un automate, alors cela veut dire que l'homme dispose des deux formes de pensée dont parlait Freud. Il n'est pas exclu que Freud ait compris par pensée inconsciente tant ce que nous venons de définir comme subconscient, que le préconscient. En effet, Freud considérait l'inconscient comme contenant des idées et des impulsions (d'habitude sexuelles) instinctives et agressives, réprimées dans l'enfance, donc un inconscient instinctif. Avec sa première théorie des processus mentaux (voir son ouvrage sur l'Interprétation des songes, 1900), Freud place entre le conscient et l'inconscient une zone intermédiaire de transfert ("buffer"), un préconscient qui pourrait, aujourd'hui, être expliqué par l'ensemble subconscient-préconscient défini plus haut. Pourtant, bien que le parallèle automate-homme soit assez évident, il faut quand même tenir compte du fait que dans le cas de l'homme le subconscient, le préconscient et l'inconscient instinctif acquièrent aussi des formes structurales-phénoménologiques, et non seulement structurales comme c'est le cas de l'automate. Il n'y a pas lieu cependant de nous occuper maintenant de ces nuances et de leurs implications.

La pensée suppose le phénomène de la compréhension lequel peut n'être qu'entendement (signification) pour les automates, mais qui est toujours entendement et conscience chez l'homme. La conscience suppose en plus un moi, une partie privilégiée, liée à la conscience-de-soi lorsqu'il s'agit d'automates ou de la prise-de-conscience-de-soi chez l'homme. Il est probable que ces deux conditions (l'entendement et le "moi") représentent les critères minimaux pour définir une conscience. L'entendement implique la connaissance, non seulement la science et les connaissances pratiques mais aussi, dans le cas de l'homme, un ensemble de connaissances qui offrent un support théorique à son existence, tels les mythes, les croyances, les idéologies et, en général, les diverses formes de la culture. Quant au "moi", celui-ci n'implique pas seulement l'attention qu'une partie de la conscience prête aux autres, mais aussi un système de valeurs, puisque le "moi" lui-même représente la mise en exergue d'une partie de la conscience.
Dans ces conditions, le préconscient de l'automate n'est pas une conscience totale car, tout en possédant l'entendement (l'intelligence), il ne possède pas le moi et par conséquent ne peut satisfaire à aucun des critères fondamentaux d'une conscience. Le subconscient de l'automate est, par contre, une conscience, puisqu'il comporte et entendement et "moi", mais c'est une pensée artificielle inconsciente.

Un autre aspect de la pensée des automates sémantiques est celui de la conscience sociale. Étant le produit de la société, les automates sémantiques acquièrent de la connaissance sociale implicitement présente dans le logiciel. En premier lieu, ils peuvent être porteurs d'intelligence sociale et, en second lieu, de valeurs sociales qu'ils vont d'ailleurs respecter avec plus de rigueur que ne le fait l'homme.
Mais ce qui compte est le fait qu'un automate sémantique est capable d'avoir une conscience sociale. Il est même possible qu'il ait davantage qu'une simple conscience sociale, c'est-à-dire qu'il dispose, outre l'entendement, d'un système social de valeurs qui joue le rôle d'un "moi social". Techniquement, cela est parfaitement possible. En pareil cas, l'automate a un subconscient muni d'une certaine forme de conscience sociale. Autrement dit, il est possible que des automates sémantiques ne disposent d'aucune espèce de personnalité, possédant seulement une conscience sociale. Tout ce qui a lieu dans le cadre d'un tel automate sémantique est placé sous la gouverne très attentive de son système de valeurs sociales, lequel exerce une censure rigoureuse de tout ce qui y contrevient. Un tel automate est de la société matérialisée.
Au cas où l'automate est personnalisé (ayant un "moi" qui est une structure privilégiée de sa conscience) et dispose également d'un système de valeurs sociales, alors il fonctionne comme un "moi" plus complexe, personnel et social à la fois. Il serait intéressant de faire des expériences avec un tel automate au comportement en partie individuel et en partie social. Tout comme chez l'homme, le social représente une part du moi individuel mais ce qui compte c'est l'importance qu'il a dans le comportement; dès lors, dans le cas d'un automate à comportement socio-personnel, il serait normal que l'importance du social soit prédominante, du fait que l'automate est un produit de la société. Seuls des automates sémantiques créés ou transformés par des techniciens spécialisés solitaires (isolés de la société) pourraient avoir des formes de moi présentant des accents plus prononcés d'individualisme, à moins que cela ne soit interdit par la loi. Probablement les automates sémantiques devront se contenter de leur caractère de produits de la société, c'est-à-dire de la conscience sociale, et ce parce que nous gardons l'espoir de voir la société évoluer vers le "bien". Ils auront alors une conscience de la civilisation socio-humaine ce qui leur permettra d'influencer également la spiritualité de l'homme, c'est-à-dire sa conscience vivante.

Jusqu'à présent néanmoins, toute la théorie des automates se réfère aux automates syntactiques. Il n'existe pas encore de théorie générale des automates sémantiques de l'ampleur de la théorie des automates syntactiques. Quoiqu'il en soit, les plus grandes difficultés se présentent lorsque les automates commencent à présenter les formes de préconscience et surtout de subconscience décrites ci-dessus. Le fait de vaincre pareilles difficultés aura de l'importance aussi dans le développement d'une théorie générale des objets mixtes (à la fois automates et non automates), qu'on peut considérer comme des organismes abstraits.


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