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Chapitre 11
Information, Poésie, Esprit
L'information est une notion scientifique que la philosophie
prend en charge en lui attribuant un caractère universel
dans l'existence. Devenant une notion philosophique, l'information
acquiert des nuances poétiques car la philosophie est également
un pont entre la science et la poésie. La seule différence
entre phénomène informationnel et signification
tient en ce que le premier se passe seulement dans l'informatière.
Quand ce phénomène informationnel se produit dans
un organisme vivant, alors nous l'appelons conscience. L'information
est en premier lieu un phénomène prenant place dans
l'informatière. La signification provient initialement
de la conscience mais l'homme ne l'atteint que dans le cadre de
sa vie sociale. Cependant, la signification peut se séparer
de la conscience et fonctionner seule, mais jamais elle ne se
sépare de la substance. Ainsi, dans les ordinateurs munis
d'intelligence artificielle, elle n'est jamais jointe à
la conscience: l'intelligence artificielle ne comprend que des
significations. En d'autres termes, nous voulons dire que la signification
est structurale, mais que la conscience est phénoménologique.
La signification n'est pas une moindre merveille que la conscience,
mais elle dérive de la conscience.
Une information contenant conscience et signification n'apparaît
que dans les conditions d'une vie sociale. Elle est structurale
et phénoménologique à la fois. La conscience
et la signification sont l'un comme l'autre, sémantiques,
mais l'information étant aussi structurale, elle a aussi
des propriétés syntaxiques. L'information "dépourvue
de conscience" (c'est à dire ne contenant que signification)
est structurale, elle est donc souvent artificielle. C'est tout
de même de la conscience qu'elle provient car en dehors
d'elle, elle n'aurait jamais pu se constituer.
Les structures sans contenu sémantique peuvent aussi représenter
une information; dans ce cas, l'information est syntaxique. On
pourrait même dire que c'est seulement une information potentielle
ou un signal. C'est pourquoi la science considère, et jusqu'à
un certain point à juste titre, de très nombreuses
structures comme des informations, quoiqu'en réalité
elles ne le soient qu'à l'état rudimentaire.
L'information est un principe immatériel, non en soi mais
toujours en matière et substance. L'information est, pourtant,
matérielle parce qu'elle représente un processus
qui a lieu dans la matière: sans être elle-même
la matière, elle en est une manifestation. Elle a, pour
ainsi dire, un caractère idéal, mais atténué
et qui ne peut s'élever ni au-dessus, ni au-delà
de la matière, étant à égalité
avec la matière.
*
* *
Il est difficile de parler de la poésie mieux que les poètes
l'ont déjà fait. Voici quelques citations qui disent
à notre avis tout sur la poésie:
-
"La poésie est l'antithèse de la science"
(Coleridge, 1772-1834)
-
"La science est la connaissance des choses, telles qu'elles
sont, réduite à un système; la poésie
est l'art d'exprimer des pensées abstraites sous la forme
de choses tangibles ou bien de choses liées plus intimement
aux sens intérieurs, voire à un domaine de l'expérience
... l'aube de la civilisation est enveloppée de poésie
parce que, dans l'histoire, la poésie est apparue avant
la science" (Hudson Maxim, 1910)
-
"La poésie est un mensonge pour saisir la réalité"
(Van Noppen, d'après Hudson Maxim)
-
"Prise littéralement, la poésie manque de
sens. C'est un bon test pour la poésie que de la prendre
ad litteram et de constater qu'elle mène à
un non-sens" (Hudson Maxim)
-
"Un jour, un ami me demanda ce que c'est que la poésie.
Je lui dis: c'est l'âme intime de l'homme, c'est la pensée
divine, c'est le pont que l'on franchit pour arriver dans l'univers
du rêve, ou bien, selon Shakespeare, "c'est la musique
que tout homme porte en soi". Il suffit d'une légère
brise et voici que les cordes se mettent à vibrer. Les
poètes savent tirer des mélodies de ces cordes sensibles"
(Vasile Conta, 1975)
*
* *
La pensée est un processus informationnel structural-phénoménologique.
Elle ne prend naissance que lorsqu'il existe des structures en
relation avec l'informatière. Un univers, aussi, peut naître
par des processus phénoménologiques-structuraux.
Mais l'Univers ne pense pas, il n'est pas pensée. Seuls
les êtres qu'il développe le feront penser. L'information,
du point de vue poétique, a parfois un caractère
sacré, un aspect divin. Entre sacré et divin d'un
côté et information, y compris la matière
qui la soutient, donc entre le poétique et le scientifique,
il existe une relation dans laquelle chacun interprète
l'autre. Une voie possible vers cette interprétation est
celle qu'assume la nouvelle philosophie de la matière et
de l'information profonde. Seule une vision scientifique et poétique
sur le monde peut satisfaire simultanément la raison et
l'affectivité profonde de l'homme.
L'informatière présente des phénomène
informationnel primaires, primordiaux, qui créent les tendances
de l'existence. Ils constituent son âme et on peut dire
que, en quelque sorte poétiquement, l'information même
est âme, l'âme du monde, des univers, de chaque être
vivant.
L'informatière seule ne pense pas; elle se manifeste par
des pulsations au rythme de son chronos. Chaque organisme vivant
renferme une âme, c'est-à-dire les tendances et le
chronos de l'informatière. L'âme du corps n'est que
l'informatière qui lui revient. La conscience et les tendances
propres à l'homme comme à n'importe quel organisme
vivant naissent dans l'âme. La vie sociale enrichit l'âme
de l'homme jusqu'à faire d'elle la plus riche. Par son
âme, l'homme peut enrichir l'âme de l'existence.
*
* *
L'esprit est davantage que l'âme, bien que parfois on les
confonde. Pourtant, ce n'est pas tout à fait à tort
que l'on dit que l'âme est esprit car rien de ce qui se
trouve dans l'esprit ne peut manquer à l'âme. Nous
faisons nôtre l'opinion de Constantin Noica [1984]: "Au-dessus
des ténèbres germinatives de l'âme, (l'esprit)
jette le filet de ses enchaînements lucides ... l'une (l'âme)
est spontanée, l'autre réfléchi; l'une vit
dans le monde tel qu'il se présente, l'autre change le
monde pour pouvoir y vivre". L'esprit est conscience vivante,
active.
Citons encore Hegel: "l'âme peut exister et subsister
sans images, sans pensée etc.; la nature impérissable
de l'âme est donc considérée comme la nature
impérissable d'une chose représentée de la
sorte comme quelque chose d'existant". Pour Hegel non plus
l'âme n'est pas pensée. La pensée de l'homme
est plus que l'âme parce qu'elle est structurale-phénoménologique
tandis que l'âme n'est que phénoménologique.
A cause de leurs processus structuraux-phénoménologiques,
les cellules, les protozoaires, les bactéries, les plantes,
tous ont une certaine forme de pensée bien que fort éloignée
de celle de l'homme.
L'esprit est le siège de la pensée. L'esprit est
la pensée même et la mémoire de la pensée.
Dans le cas de l'homme, l'esprit appartient au cerveau et en fait,
au sens large, il appartient à tout son corps. L'esprit
est information.
L'âme d'une substance non vivante est complètement
cachée, n'étant accessible ni aux sens de l'homme,
ni aux expérimentations scientifiques basées sur
la connaissance du monde. D'ailleurs, cette âme est si figée
et si fixe qu'elle n'a plus que très peu de ce qui constitue
la poésie du mot "âme". Mais, elle non
plus ne manque tout à fait de poésie. L'âme
d'une substance vivante non plus n'est directement évidente,
pourtant, il n'est pas exclu que la science finisse par trouver
des voies neuves pour mettre en évidence l'informatière,
et par là l'âme des êtres vivants.
La matière est absolue. Ses principes primordiaux sont
absolus. Les tendances primordiales de la matière sont
absolues. Si, du point de vue poétique, ce qui est absolu
est sacré, alors la matière, notamment la matière
profonde, est sacrée. La matière profonde demeure
toujours la même, elle est éternelle et indestructible,
elle est dans le non temps, dans le non espace. Tout le reste
n'est que processus en la matière profonde: les espaces,
les temps, les univers, les objets, les êtres, les hommes,
les sociétés. Étant périssables, il
semblerait qu'ils ne peuvent être que profanes. Pourtant,
la substance vivante est un mélange de sacré et
de profane. L'univers, bien que profane, a des lueurs de sacré
par ce qu'il a de vivant. De la même façon, le chronos
est sacré, le temps est profane. Ce qui est profane provient
aussi du sacré, le profane n'étant que du sacré
caché. C'est pourquoi l'homme, en toute chose de l'univers,
peut voir soit le sacré, soit le profane. "L'homme
croit que la vie a une origine sacrée", affirme Mircea
Eliade [1965], cela peut être vrai aussi dans le cas d'une
philosophie matérialiste si la matière profonde
est considérée comme poétique, comme sacrée.
Si Dieu est le nom de la réalité ultime, alors
Dieu est inconscient bien que sensible, sans volonté bien
qu'ayant des tendances. Dieu, dans ce cas, ne serait rien de plus
qu'information, voire aussi énergie. Les déités
et Dieu représentent des solutions de la tension philosophique
de l'homme. Ils ne sont pas les seules solutions. Mais ce sont
des solutions qui peuvent interdire l'effort humain de connaître
les profondeurs de l'univers. Le dernier des cafards ou autre
animal, est-il aussi sacré? Comme toute substance vivante,
il a bien quelque chose de sacré en lui mais l'homme le
traite en objet profane du moment qu'il peut nuire à des
êtres placés plus haut dans une échelle du
sacré que nous allons examiner maintenant.
Tout d'abord, le superlatif du sacré est le divin. Ensuite,
l'existence se déroule de soi pour revenir à soi,
c'est l'anneau du monde matériel. Si le retour se fait
en passant par des organismes simples sans conscience, alors le
sacré de ces organismes est d'une moindre valeur; l'anneau
du monde matériel est dans ce cas plutôt profane
et tous les organismes respectifs sont plutôt profanes.
Quand il s'agit d'organismes conscients, l'anneau du monde matériel
qu'ils décrivent est beaucoup plus proche des tendances
fondamentales de la matière, par conséquent ils
sont plus hauts dans l'échelle du sacré. Mais le
superlatif du sacré, le divin, ne peut être atteint
que par les organismes de très haute spiritualité,
capables de s'élever à une prise de conscience de
l'existence et aux actions en accord avec cette prise de conscience.
[Table des matières]
[Préface]
[Chapitre 1]
[Chapitre 2]
[Chapitre 3]
[Chapitre 4]
[Chapitre 5]
[Chapitre 6]
[Chapitre 7]
[Chapitre 8]
[Chapitre 9]
[Chapitre 10]
[Chapitre 11]
[Chapitre 12]
[Chapitre 13]
[Glossaire]
[Références bibliographiques]