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Chapitre 12
Pensées sur l'Avenir
Qu'il me soit permis de commencer par une affirmation de nature
poétique: pour moi une partie de la philosophie de la matière
profonde s'exprime dans la fleur en tant qu'être vivant.
Elle est le symbole de la forme, de la beauté, de la vie,
de l'information profonde. La fleur exprime de la manière
la plus significative la tendance de la matière de prendre
forme. Forme provenant du jeu chimique des molécules la
constituant, autant que forme découlant de son être
même. Le processus de formation d'une fleur a des implications
dans tout l'ordre de notre environnement animé. Car une
forme de la sorte ne saurait provenir du seul jeu strictement
structural des molécules et des atomes, elle procède
aussi des significations phénoménologiques de l'existence.
D'une certaine façon, la composante structurale obéit
dans sa genèse aux tendances phénoménologiques
exprimées par les informations profondes d'un organisme,
lesquelles ont un support matériel spécifique. La
forme d'une fleur ne peut être sans rapport avec l'information
profonde. Ce sont les phénomènes informationnels
topologiques de la composante informatérielle de la matière
profonde qui soutiennent la nature de l'espace de notre univers
et qui ont contribué en quelque sorte à la formation
de la fleur, à sa beauté. Mais si les choses se
passaient vraiment ainsi, les phénomènes informationnels
topologiques de la matière profonde devraient être
beaux en eux-mêmes. L'espace serait beau si on acceptait
pareille thèse. Tout ce qui provient des phénomènes
informationnels topologiques devrait aboutir à quelque
chose de beau, quelque soit l'être vivant parce qu'en étant
ouvert sur la matière profonde, chaque être enregistre
le beau par une sorte de retour aux sources.
Cependant, tout ce que produit la matière n'est pas à
tout prix beau. Chaque structure élémentaire, prise
séparément, est inévitablement belle du point
de vue topologique profond, mais leurs combinaisons peuvent bien
produire des résultats qui ne soient pas beaux. Une particule
élémentaire est assurément belle, mais il
se peut que des structures composées de particules élémentaires
n'aboutissent pas, en s'agglutinant, à des significations
topologiques qui résonnent harmonieusement avec les structures
propres des êtres vivants, ni avec leurs propres significations
phénoménologiques. Par l'intermédiaire d'un
être vivant, la matière profonde peut ou non se trouver
en harmonie avec des structures complexes, reconnaissant ou non
ses tendances primordiales. Mais cet état de choses dépend
aussi de l'instrument intermédiaire, c'est-à-dire
du type d'être vivant qui enregistre le beau et qui l'éprouve
comme tel ou non. En général, l'homme de science
reconnaît la beauté de la matière vivante
sous presque toute forme individuelle, en tant que reflet de l'influence
ordonnatrice des phénomènes informationnels topologiques
dans un corps vivant. C'est seulement superficiellement que l'homme
ne reconnaît pas la beauté de la majorité
des formes de la matière vivante et même de nombreuses
formes de la matière non vivante. Dès lors, envisageant
le beau dans la perspective structurale-phénoménologique
on peut se demander si la société est belle, si
l'histoire (vécue, pas écrite) est belle, si l'avenir
peut être beau.
Vers 1978, préoccupé à ce moment par les
lois de l'avenir ou de la genèse de l'avenir, je notais:
-
L'avenir n'est pas mathématique, n'est pas logique
(formel), n'est pas système, n'est pas automate; aussi,
ne peut-il être formulé par voie mathématique
ou logique (formelle), ou systémique et ni par la théorie
des automates, même si parfois, à court terme, ces
techniques puissent prédire l'avenir.
-
L'avenir n'est pas déterminé par la loi del'entropie
dès qu'on sera capable d'agir sur la matièreprofonde dont sont
constitués les particules élémentaires
et les organismes vivants.
-
L'avenir va se structurer par la connaissance, la création
et l'innovation, ce qui brièvement peut être
formulé de la sorte: l'avenir est aux organismes conscients,
principe impliquant aussi le rôle de la conscience dans
la détermination de l'avenir. "Organisme conscient"
signifie une combinaison entre systémique, créatif,
innovateur et spirituel. Cela signifie reconnaître le rôle
des conditions matérielles de la vie mais aussi de la conscience.
-
L'avenir est philosophique, non pas scientifique; il
est scientifique seulement dans la mesure où la philosophie
est fondée sur ou se rapporte à la science. C'est
pourquoi l'étude de l'avenir n'est pas une science mais
une philosophie en rapport avec la science et la conscience.
-
L'avenir est une société humaine
dont la civilisation sera fondée sur de nouvelles forces
de production, orientées vers l'information, et qui
ne pourra être obtenue automatiquement mais par des organismes
conscients, dans un cadre général déterminé
probablement encore par la loi de l'entropie.
Certains disent que l'avenir est déterminé par
la technologie, d'autres qu'il est déterminé par
l'homme. L'avenir étant celui des organismes conscients,
les uns et les autres ont raison mais à condition de réunir,
de combiner leurs points de vue. L'avenir étant philosophique,
il est aussi dialectique. L'avenir dépend de notre passé,
mais aussi de ce que nous voulons ou espérons qu'il soit.
En 1985, je notais que si nous voulons examiner l'avenir, trois
points de vue sont à notre disposition:
-
le politique: va-t-on, oui ou non, vers un désastre
nucléaire, vers la guerre ou vers une révolution
microélectronique et informatique, biotechnologique aussi,
avec évidemment leurs conséquences respectives ?
-
le scientifique: élucider la nature de la matière
vivante nous offrirait une connaissance plus sûre de l'homme
et, implicitement, de la société humaine. Peut-on
parler d'avenir à long terme sans une semblable connaissance ?
-
le philosophique: la finalité de la vie sur Terre et
dans l'Univers à la lumière d'un modèle philosophique.
On ne saurait penser l'avenir sans cette finalité qui pourrait
être non pas seulement un processus naturel aveugle mais
aussi une borne, un terme déterminé ou dépassé
par la conscience même des êtres vivants.
S'il existe une loi tendancielle à qui univers et vie sont
soumis et si, comme nous le pensons, l'humanité est placée
dans un cycle existentiel où la conscience va se haussant
au niveau de conscience de l'existence, alors en vérité
cela vaut la peine de nous occuper de l'avenir en ne laissant
pas les choses aller d'elles-mêmes.
Sera-t-il bon, sera-t-il mauvais, cet avenir? Le mal a toujours
été et reste possible. Mais le mal, ou plutôt
ce que l'être humain ressent en tant que mal, est en fait
un phénomène informationnel dans la matière
profonde qui, n'ayant pas de conscience, ne peut pas l'exploiter.
Le mal et le bien, dès qu'ils deviennent indépendants
de l'être humain, ne sont plus que des phénomènes
informationnels qui répondent au besoin physique de l'informatière.
On peut donc dire tout simplement que pour l'homme, l'avenir sera
bon si la société dans laquelle il va vivre est
bonne. Mais qu'est-ce qu'un société "bonne"?
Pour nous, c'est celle qui satisfait aux critères d'une
civilisation socio-humaine. Du point de vue existentiel, une société
doit satisfaire aux exigences des lois tendancielles fondamentales.
Comme nous l'avons déjà dit, une telle loi, un tel
principe exigerait la création d'un univers nouveau. Si
une pareille tendance venait à se réaliser en fin
de compte, il serait indifférent que la société
de l'avenir soit bonne ou mauvaise. Tout au plus, l'argument de
nos souffrances serait-il utilisable. Sans doute, au nom de la
nécessité de créer un univers nouveau, pourrait-on
exercer une totale coercition en substituant précisément
cet objectif aux anciens motifs extérieurs (divers périls
du dehors, telle la guerre) ou intérieurs (le fait d'entreprendre
des tas de choses inutiles ou dangereuses, telle, autrefois, la
construction des pyramides). On se trouve ici face à deux
effets contradictoires. D'une part, cet objectif étant
en somme un motif philosophique, cela signifie que la volonté
de renforcer la coercition en vue de le réaliser va engendrer
un repliement du pouvoir, à moins d'arriver à élucider
la nature et la position de l'homme. Inévitablement, cette
situation provoquera le recours à un dirigisme total de
ceux qui devront mener à bonne fin tel objectif. D'autre
part, et inversement, pour avancer toujours davantage dans la
direction de la tendance fondamentale vers un univers nouveau,
le besoin de connaître sera toujours plus aigu.
Ces deux aspects sont évidemment incompatibles. Une coercition
excessive ne peut que freiner la créativité, la
connaissance, l'invention et finalement la Vérité
puisque toute avancée vers le but poursuivi risque d'être
entravée, voire anéantie, en même temps qu'on
affirmera avancer vers le but! Tôt ou tard, on risque d'avancer
dans le mensonge, d'où une superposition du mal social
et du mal philosophique puisqu'au lieu de la satisfaire, on entrave
la tendance fondamentale du devenir.
Nous venons d'employer l'expression de "mal social".
Qu'est-ce que ce mal? Ce n'est qu'un phénomène informationnel
neutre dans la matière profonde qui contrevient à
la tendance naturelle de l'Univers. Si le mal social découle
inévitablement d'une coercition à l'excès,
le bien social découle, lui, d'une coercition tempérée
ainsi que d'une combinaison faite de vérité, d'innovation,
de technologie, des forces de production, de l'information, de
la spiritualité. Le tout ensemble ne peut que conduire
à une civilisation socio-humaine.
Ainsi, l'avenir sera bon si l'on assure et maintient le bien social
qui, une fois accompli, sera aussi un bien philosophique.
Et que signifierait un avenir plein de beauté? Ce serait
l'avenir qui satisfait aux tendances fondamentales de devenir
par une résonance harmonieuse avec les phénomènes
informationnels primordiaux de la matière, ainsi que nous
le remarquions au sujet de la fleur. Dans ce sens, le symbole
de l'avenir pourrait être celui de l'épanouissement
vers le Beau. Mais cet épanouissement n'est que potentiel:
il ne peut se produire qu'à la condition de songer à
l'avenir et d'agir en vue de réaliser un avenir dûment
pensé. En conséquence, bien et beau fusionnent dans
l'avenir.
[Table des matières]
[Préface]
[Chapitre 1]
[Chapitre 2]
[Chapitre 3]
[Chapitre 4]
[Chapitre 5]
[Chapitre 6]
[Chapitre 7]
[Chapitre 8]
[Chapitre 9]
[Chapitre 10]
[Chapitre 11]
[Chapitre 12]
[Chapitre 13]
[Glossaire]
[Références bibliographiques]