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Section 3.5
Principe de l'universalité ontologique de
l'énergie
principe (V)
Comme nous l'avons déjà souligné, le notion
d'information commença à devenir concept scientifique
au début de ce siècle, tandis que celle d'énergie
s'affirma comme un concept rigoureux de la science dès
le XIXème siècle. L'idée que lors de la transformation
d'une forme de mouvement en une autre il existe tout de même
quelque chose qui se conserve devint évidente avec les
ouvrages de Robert Mayer, James Prescott Joule et Hermann Helmholtz,
après que Liebig et Mohr (cf. [Mason, 1953]) aient eu une
intuition initiale de ces problèmes. Les trois premiers
savants sont en effet considérés comme formant la
triade des pionniers du principe de la conservation d'énergie.
Médecin de par sa profession, Robert Mayer partit de phénomènes
biologiques et physiologiques pour arriver à conclure que
"les forces" (c'est à dire, les énergies)
chimiques des muscles animaux et les forces caloriques et mécaniques
sont équivalentes et convertibles réciproquement.
La notion scientifique d'énergie n'étant pas encore
apparue à l'époque de R. Mayer (1814-1878), celui-ci
considérait (dans un ouvrage daté 1841 et refusé
pour publication par une revue scientifique) que, dans le cas
du mouvement mécanique, intervient une sorte de force égale
à mv (m: la masse; v: la vitesse). En 1842, cette fois
dans un article publié, Mayer considère la "force"
comme étant mv2, au lieu de l'énergie
cinétique ½ mv2; enfin, dans un
autre article de 1845, Mayer affirme que le principe de la conservation
de la force est le principe suprême de la nature. Pour lui,
ex nihilo nil, la force (l'énergie) ne se crée
pas, elle se transforme seulement; en tous processus, la force
demeure constante. Fait intéressant, Leibniz accorda de
l'attention à l'expression mv2 pour
mesurer la force ou l'effet de la force comme le signale W. Ostwald[1910].
Joule (1818-1889), en 1840, formule la loi qui porte son nom
concernant les effets thermiques du courant électrique
et, en 1843, détermine l'équivalent mécanique
de la calorie. Pour commencer, on n'accorda pas d'importance à
cette grande performance expérimentale, la Royal Society
allant même jusqu'à lui refuser la publication de
deux de ses articles. Joule considère la chaleur comme
étant la même chose qu'une forme de force mécanique,
mais il démontre aussi la transformation de l'énergie
mécanique en chaleur.
Hermann Helmholtz (1821-1894) formule à son tour, en 1847
le principe de la conservation de la force en montrant que les
animaux obtiennent leur énergie des aliments, l'énergie
chimique de ces derniers se transformant en mouvement mécanique
et chaleur. Pour Helmholtz, l'énergie totale de l'univers
est constante et peut être réduite à sa forme
mécanique. Pour lui, il n'y a pas de matière sans
énergie, matière et énergie étant
des termes inséparables.
Le terme d'énergie s'est imposé grâce à
Marcquorne Rankine qui, en 1855, publie l'esquisse d'une science
de l'énergie [Ostwald, 1910].
William Thomson (Lord Kelvin, 1824-1907) eut aussi un rôle
important dans l'émergence de la notion d'énergie.
En 1847, il souligne l'importance des travaux de Joule, et en
1854 il propose l'échelle absolue des températures
("l'échelle Kelvin"). Par ses travaux, l'énergie
devient une notion de toute première importance dans la
conception physique sur la nature.
Durant la deuxième moitié du siècle dernier
il devint évident que, dans l'univers, toute les formes
de mouvement ont un facteur commun, l'énergie. Dans le
problème de savoir si l'énergie est une réalité
physique ou seulement une fonction au moyen de laquelle est décrit
l'état d'un système, "le premier des énergéticiens",
comme allait l'affirmer W. Ostwald, à savoir Robert Mayer,
envisagea l'énergie comme une forme de la réalité
à côté de la matière, si bien qu'on
peut dire que R. Mayer est le premier à nous avoir fait
rencontrer le dualisme matière-énergie.
Lord Kelvin considérait qu'à chaque état
d'un corps correspond une certaine valeur d'énergie et
inversement, à chaque valeur d'énergie correspond
un certain état. Nous savons aujourd'hui qu'au niveau quantique
il est possible qu'à une certaine énergie correspondent
plusieurs états physiques, nommés des états
dégénérés. Mais la relation entre
l'état physique et l'énergie est restée et
reste essentielle: à un état physique d'un système
correspond une, et seulement une certaine énergie. Si l'énergie
dépend de l'état du système, alors l'échange
d'énergie qui s'effectue d'un système à un
autre dépend seulement de l'état initial et final
du système considéré.
L'énergie est-elle un ingrédient fondamental de
l'univers, telle que la considérait Robert Mayer, ou seulement
une façon de décrire l'état de mouvement
de la matière ? Le principe de la conservation d'énergie,
véritablement fondamental pour la science structurale et
applicable à un système clos, n'affirme rien à
ce sujet. On affirme parfois que "l'importance de cette notion
(l'énergie) est de se soumettre à la loi de conservation".
Même lorsque l'on parle de l'énergie en général,
il s'agit toujours d'une certaine forme d'énergie, ou bien
de la transformation d'une forme d'énergie en une autre.
Évidemment, le rôle important de la notion d'énergie
en science et dans la vie pratique devait conduire également
à l'idée de l'universalité ontologique de
l'énergie. Après Robert Mayer, une position similaire
est prise par J. H. Pointing (1852-1914), l'auteur bien connu
d'un important théorème sur l'énergie électromagnétique,
considérant l'énergie comme une sorte de substance
distincte.
Un pas de plus en avant est fait par Wilhelm Ostwald (1853-1932).
Il affirme, en 1890, le principe de l'universalité ontologique
absolue de l'énergie: l'ultime réalité du
monde est l'énergie dans l'espace et le temps. L'apparition
historique de l'énergétique dans la pensée
scientifique envisageant le monde peut en effet être tenue
pour normale car il fallait bien arriver à vérifier
aussi l'hypothèse de l'énergie entrevue comme réalité
ultime du monde. Admettant donc la priorité de l'énergie,
Ostwald voit l'univers comme une multitude d'énergies qui
se manifestent et se modifient dans l'espace et le temps. Il évident
que pour Ostwald [1910] l'espace et le temps sont, avec l'énergie,
des réalités primordiales. Commentant le dualisme
de R. Mayer, il affirme: "le dualisme matière-énergie
peut être supprimé étant donné que
la notion de matière y est subordonnée. Et plus
loin: "la matière ... est une notion superflue";
ou encore: "on peut résoudre de la façon la
plus complète en termes d'énergie le problème
de la représentation de tous les phénomènes
physiques". Il considère donc que la science tout
entière peut être unifiée par cette notion.
L'esprit lui aussi est une forme d'énergie: "ces deux
entités sont de la même espèce, la notion
d'esprit se basant sur celle d'énergie". De cette
manière, selon Ostwald, peut aussi être résolu
le dualisme matière-esprit. Qui plus est, il affirme que
la vision énergétique permet de dépasser
également les difficultés soulevées par la
"mécanique des atomes" qui entravent l'explication
des phénomènes psychiques. Tout en n'analysant pas
la spécificité des phénomènes énergétiques
de la substance vivante, mais en les comparant aux phénomènes
énergétiques de la matière non vivante et
en concluant directement à l'énergie psychique,
laquelle est nerveuse, il considère ces phénomènes
comme autant de formes distinctes d'énergie. Il conçoit
aussi la conscience comme une forme d'énergie psychique,
en quelque sorte similaire aux multiples énergies déterminant
un corps vivant. Il affirme: "pour le Mécanisme, entre
les phénomènes physiques, qu'il considère
comme des phénomènes mécaniques, et les phénomènes
psychiques il y a un abîme insurmontable; pour l'Énergétique,
au contraire, il y a une relation constante entre les manifestations
les plus simples de l'énergie, c'est-à-dire ses
manifestations mécaniques, et les manifestations les plus
complexes, c'est-à-dire ses manifestations psychiques".
Ostwald n'alla guère plus avant que ce type de généralités.
Pourtant, à juste titre d'ailleurs, ses idées ont
influencé nombre de scientifiques et de philosophes. Elle
offrent une base à l'unité de la science par l'énoncé
du caractère primordial de l'énergie qu'il s'agisse
de la matière, de la vie, de l'esprit, tout est conçu
comme des processus énergétiques. Malgré
cela, jusqu'à aujourd'hui même, une théorie
du monde n'a pu être construite sur des bases énergétiques,
la science suivant son propre chemin par la mécanique quantique,
la théorie de la relativité et la biologie moléculaire,
mais ne réussissant toujours pas à expliquer la
vie spirituelle et les phénomènes psychiques.
En 1905, Einstein marque, comme chacun le sait, un moment important
dans l'évolution de la science en formulant la relation
W = mc2 qui exprime le rapport entre l'énergie
W et la masse m d'un corps, c étant la vitesse de la lumière.
Cette formule, déduite par voie mathématique dans
le cadre de la théorie de la relativité, a eu des
confirmations expérimentales dans la balistique des électrons
et surtout dans l'énergie nucléaire. La relation
établie par Einstein peut être interprétée
de deux manières:
-
il existe un rapport entre la masse et l'énergie parce
que toute forme de la matière a de l'énergie;
-
la masse est un mode de manifestation de l'énergie (interprétation
du type Ostwald) et, par conséquent, la matière
se réduit à l'énergie.
W = mc2 est remarquable par ceci qu'elle exprime
le rôle fondamental de l'énergie qui est, soit une
réalité ultime, soit une réalité en
tant que propriété accompagnant la matière.
Dans la théorie classique de l'énergie, celle-ci
étant fonction de l'état du système elle
ne peut être définie qu'à une constante arbitraire
près. Si l'on considère l'énergie comme fonction
des grandeurs d'état du système, il est relativement
aisé de déterminer la différence d'énergie
entre deux états du système, mais, pour apprécier
cette différence, le choix de l'énergie de l'état
de référence est arbitraire. En fonction du choix
de la constante arbitraire, un système physique peut prendre
des états à énergie zéro ou même
négative. La théorie classique de l'énergie
ne peut établir quelle est l'énergie absolue d'un
état de référence. Ceci jette une ombre sur
l'énergie envisagée comme réalité
ontologique primaire et risque de faire considérer l'énergie
comme un concept et une grandeur conventionnels. De ce point de
vue, la relation d'Einstein est venue résoudre le problème:
elle considère l'énergie comme une réalité
fondamentale mais non pas à tout prix la seule ultime réalité.
*
* *
De la pensée philosophique roumaine, c'est la théorie
énergétique de Stefan Lupascu [1974] que nous allons
discuter maintenant. Après qu'il eût construit tout
un système de philosophie énergétique, Stefan
Lupascu aboutit finalement à une impasse déclarée
à laquelle il entrevoit une issue dans la direction d'une
philosophie énergétique-informationnelle (comme
il apparaît dans l'un de ses derniers ouvrages, dédié
à la matière psychique). De son point de vue, la
matière psychique est une troisième forme principale
d'organisation de l'énergie. Celle-ci, ayant sa propre
logique, s'organise en matière non vivante, matière
vivante et matière vivante avec système nerveux
et activité mentale. C'est ce qui explique aussi la connaissance,
mais dans la pensée de Lupascu, se dresse le problème
de l'affectivité qui, avoue-t-il, "hante mes recherches
et ma pensée". L'affectivité ne peut s'expliquer
par le système qu'il a conçu car elle ne peut être
expliquée seulement par l'énergie envisagée
comme réalité dernière: "Nous sommes
alors en présence de deux natures parallèles, celle
des existants relationnels, avec leurs complexités énergétiques,
et celle des données ontologiques de l'affectivité
qui n'ont aucun rapport de nature entre elles, mais sont tout
de même liées l'une agissant, pas toujours cependant,
sur l'autre". Autrement dit, en tant que réalité
ultime, l'énergie ne suffit pas pour nous faire comprendre
l'affectivité: "Il semble que n'importe quel existant
est un réseau d'événements dynamiques antagonistes
et par cela même aptes à systématiser, s'étendant
sur une substance ontologique qui se manifeste par l'affectivité".
Voilà qui lui paraît incompréhensible, échappant
à la connaissance proprement dite; mais cela ne l'empêche
pas de reconnaître qu'il serait peut-être utile de
considérer encore un autre substrat ontologique à
côté de l'énergie. Quelque fois aussi, il
lui semble que tout pourrait bien n'être que cette substance
ontologique de l'affectivité, quoique, suivant son système
ontologique, cela mènerait à "une énigme
insondable", d'où sa conclusion: "Il semblerait
que c'est l'affectivité qui conduit l'être à
l'énergie, sans que l'on comprenne en fin de compte pourquoi".
Bref, avec de pareilles réflexions, Lupascu mit en pièces
son propre système: après avoir tout réduit
à l'énergie, il en vint à ajouter lui-même
quelque chose de plus à cette énergie entrevue comme
réalité ultime.
Il faut dire que, dans sa jeunesse, Lupascu voyait l'affectivité
comme ayant sa propre nature: "Que l'affectivité soit
ressentie comme quelque chose de propre, d'irréductible
à quelque chose d'autre, voilà qui est indiscutable".
Bien mieux, il affirmait que "jamais, telle hypothèse
n'a effleuré l'esprit humain", à savoir que
"l'affectivité réclame une nature autonome",
qu'entre l'état de conscience et l'état affectif
il existe un hiatus absolu quant à leur nature". Il
considérait donc déjà que l'affectivité
provient d'une nature ontologique distincte. De la sorte, "le
non-être, loin de représenter le néant, est
une réalité pourrait-on dire absolue en son genre".
Dans quelle direction tente-t-il de dépasser sa propre
théorie énergétique ? Ainsi qu'il ressort
de [Lupascu, 1974], il se dirige vers un facteur spécifique
du monde mental. Dans cette situation, il aurait pu fort bien
faire marche arrière, reprendre son raisonnement à
rebours pour aboutir à une reconstruction (évidemment
si la notion d'information, à l'heure où il posait
les bases de sa philosophie, avait pu influencer sa pensée,
ce qui historiquement n'est pas possible) où deux facteurs
doivent participer à l'explication du monde, l'un énergétique,
l'autre informationnel, sans exclure cependant la matière
qui les contient. Parce qu'il ne recourt pas à l'information,
Lupascu cherche les détails d'organisation de la matière
dans la logique de l'énergie. Mais la logique contradictoire
de l'énergie n'est-elle pas aussi information? Du reste,
lui-même l'affirme: "Cette logique de l'énergie,
que j'ai formalisée, se suffit à elle-même,
même s'il n'y avait pas d'énergie au monde (C'est
pourquoi il s'agit d'une logique. Les faits eux-mêmes l'ont
mise en évidence)". Mais pourquoi concevoir une logique
indépendante de l'énergie quand celle-ci est par
essence énergétique? Au fond, cette réflexion
illustre la relative indépendance de l'information dans
le monde matériel.
Le système philosophique de Lupascu, sans matière
profonde et sans information, est de type non aristotélicien
(sans matière et sans forme), postulant l'énergie
comme réalité dernière. Pourtant, en développant
son système par une confrontation avec la réalité
objective, il aboutit à la nécessité d'un
substrat ontologique profond ainsi qu'à la nécessité
d'une information dans ce substrat, ne serait-ce que sous forme
d'affectivité. Autrement dit, il s'est imposé en
fin de compte un système du type aristotélicien
ou, mieux encore, un modèle du type orthophysique si on
rapproche l'affectivité plutôt de l'information phénoménologique
que de la forme aristotélicienne. N'ayant pas eu recours
à l'information à côté de l'énergie,
Lupascu s'est vu forcé de chercher tous les détails
du monde dans cette dernière, mais il a débouché
sur une impasse à laquelle il n'a pas trouvé d'issue
dans une pensée purement énergétique, ce
qui fait que l'impasse s'est maintenue jusqu'à la fin dans
sa philosophie.
Il est intéressant de constater que chez lui l'énergie
primaire n'a pas une grandeur certaine: "moi aussi j'ai démontré
qu'elle ne peut être ni finie, ni infinie" et il affirme
plus loin: "la quantité finie d'énergie comme
d'ailleurs aussi son homogénéité fondamentale
n'ont que la valeur inductive des calculs de la physique macroscopique
classique". Dans son dernier ouvrage [1986], et bien qu'il
maintienne son point de vue antérieur (à savoir:
"l'énergie, à laquelle depuis la fameuse découverte
d'Einstein n'importe quoi se réduit"), Lupascu apporte
une série d'affirmations neuves. Parmi celles-ci, l'idée
d'une énergie primordiale du type nucléaire-psychique
et, davantage encore, l'idée de l'existence de la connaissance
dans l'énergie: "La connaissance n'est pas l'oeuvre
unique du cerveau humain, elle existe en toute matière
...". Cela équivaut à affirmer indirectement
la présence de l'information dans la matière et
le fait d'attribuer une nature "psychique" à
l'énergie trahit la nécessité de l'information
déjà dans l'énergie primordiale: "le
noyau atomique est en quelque sorte psychique ... et dans ces
conditions le fondement des choses est psychique". L'énergie
commence donc déjà, pour Lupascu, à être
une espace de matière-énergie, les trois types de
matière étant chacun de la matière-énergie.
Il lui prête des facultés cognitives: "Ce n'est
pas mon cerveau qui connaît, c'est l'énergie qui
connaît en moi. Son état est tel qu'elle acquiert
elle-même une conscience de soi".
On constate donc chez Lupascu certaine tendance à admettre
une triade matière-énergie-information dans laquelle
l'énergie est le facteur essentiel, mais qui, selon lui,
ne peut contenir que de l'information cognitive, et non pas de
l'affectivité.
Après Wilhelm Ostwald, Stefan Lupascu reste probablement
le second grand philosophe énergétiste du monde.
Mais, précisément parce qu'il a tente de construire
une théorie plus élaborée, il s'est heurté
aux difficultés de la philosophie énergétique,
et il les a reconnues ouvertement.
*
* *
Les analyses ci-dessus portent à conclure que même
si l'universalité de l'énergie est insoutenable,
elle est d'une telle importance qu'elle se présente comme
une réalité ontologique. Le mouvement physique dans
l'univers s'accompagne toujours d'énergie et n'importe
quel corps de l'univers contient de l'énergie, laquelle
provient de la matière. S'il existe une matière
profonde, alors celle-ci doit nécessairement être
aussi source d'énergie. Ainsi,
le principe de l'universalité
ontologique de l'énergie (principe V) s'impose
naturellement.Dans notre modèle, l'énergie de l'univers provient
de l'énergie profonde de l'orthomatière. Il convient
d'établir une certaine distinction entre énergie
profonde et énergie, la première n'est pas liée
à la masse, n'étant pas encore incorporée
dans une substance (ou dans un champ). La substance est le résultat
du couplage de l'orthomatière avec l'informatière.
L'espace est aussi une substance formée d'orthomatière
et d'informatière; il contient donc de l'énergie
profonde et de l'information, mais n'a pas de masse et, par conséquent,
ni d'énergie au sens usuel.
L'une des critiques à l'adresse de l'orthophysique, que
je considère d'ailleurs fondée en partie, est qu'elle
donne trop d'importance à l'information, au détriment
de l'énergie. La critique est également justifiée
en ce qui concerne les manifestations énergétiques
dans l'univers, particulièrement celles qui ont trait aux
organismes vivants. Pourtant, même si jusqu'à présent
elle a relégué au second plan ces aspects, l'orthophysique
n'est pas exclusivement une discipline de l'information, comme
était exclusive la théorie énergétique.
L'orthophysique reconnaît les principes de l'universalité
et de l'autocohérence de la matière, de l'universalité
de l'information, et de l'universalité de l'énergie.
Sous des formes spécifiques, matière, énergie,
information se retrouvent tant dans la matière profonde
que dans la substance de l'univers.
Quant à l'énergie profonde, vu l'absence de mesure
et de métrique dans la matière profonde, il est
normal que cette propriété énergétique
appartenant à l'orthomatière soit considérée
comme indéfinie quantitativement. L'énergie profonde
n'acquiert de la mesure que dans un univers, et en même
temps que ce dernier se crée.
La conservation de l'énergie dans l'univers peut être
considérée de plusieurs manières:
-
dans l'univers clos, compte tenu de l'espace usuel;
-
dans l'univers clos, compte tenu non seulement de l'espace
usuel mais aussi des espaces sous-jacents à celui-ci;
-
dans l'univers ouvert sur la matière profonde.
Les lois de conservation de la masse, de l'énergie et
autres grandeurs physiques ne sont valables que dans les cas (a)
et (b). Dans le cas (c) le problème de la conservation
d'énergie dans l'univers reste posé.
Le principe de l'accroissement de l'entropie, et donc de la détérioration
de l'énergie, est applicable seulement à un univers
qui n'opère pas d'échanges avec la matière
profonde, donc à un univers clos. La présence des
organismes implique un univers ouvert sur la matière profonde,
il n'est cependant pas exclu qu'un univers purement physique ait
aussi des échanges avec la matière profonde. Un
physicien, tel David Böhm [1957], manifeste des réserves
quant à la validité de la théorie de Clausius
sur la mort thermique de l'univers. Il affirme: "De nouvelles
sources d'énergie provenant du processus infini du devenir
pourraient aussi bien être disponibles même si les
atomes, les molécules etc. continuent toujours à
exister". En d'autres termes, avant que l'univers ne se décompose,
et tant qu'il est encore constitué d'atomes molécules
et corps, il sera toujours possible de trouver dans la nature
de nouvelles sources d'énergie capables de contribuer à
son maintien. C'est précisément le point de vue
de l'orthophysique.
David Böhm [1987] énonce le postulat de l'existence
d'un substrat de l'univers qu'il imagine comme une immense mer
d'énergie où, selon un ordre conséquent,
a lieu un mouvement qui inclut de façon unitaire les principes
physiques autant que ceux de la vie: "En effet, le mouvement
... est le fondement tant de la vie explicite que de la matière
inanimée, et c'est ce fondement qui est primaire, autoexistant
et universel. De la sorte, nous ne séparons pas la vie
et la matière inanimée ...". Le big-bang s'explique
ainsi par le mouvement: "dans l'immense écran d'énergie
cosmique, (le mouvement) créant brusquement une pulsation
d'onde de laquelle est né notre univers". Et David
Böhm de considérer que les trous noirs ont un rapport
avec le fond cosmique de l'énergie. Ainsi, Böhm et
Lupascu admettent l'existence d'un fondement énergétique
unique de la matière inanimée et de la matière
vivante. Il existe certes des différences entre la pensée
de Böhm et celle de Lupascu, mais au bout du compte, les
deux se montrent insatisfaits du point de vue exclusivement énergétique,
Böhm [1986] devant faire place aux significations et à
un ordre conséquent, et Lupascu à un substrat supplémentaire
ontologique expliquant l'affectivité.
Du moment que l'orthomatière est une source d'énergie
indéfinie que nous appelons énergie profonde, cette
énergie ne peut ni se manifester, ni se modifier, ni se
dégrader d'elle-même. Inversement, pour la science
structurale, l'énergie de l'univers se conserve et se détériore.
L'univers structural clos est entropique. Pour la science structurale-phénoménologique,
au contraire, l'énergie de l'univers peut ne pas se conserver
parce que l'univers même est structural-phénoménologique.
La loi de conservation de l'énergie demeure valable pour
des systèmes physiques structuraux clos, pour lesquels
reste valable aussi le principe de l'accroissement d'entropie.
Inversement, la science structurale-phénoménologique
considère que des effets anti-entropiques absolus sont
possibles dans l'univers. Rappelons au passage que des effets
anti-entropiques locaux sont reconnus comme possibles par la science
structurale, mais dans les organismes vivants. Ceux-ci s'organisent
et diminuent leur entropie compte tenu de la croissance de l'entropie
du milieu où ils vivent. Mais, en est-il toujours ainsi?
En principe, il pourrait exister deux modes de fonctionnement
des êtres vivants: un mode structural qui ajuste rigoureusement
la croissance d'entropie dans l'ensemble organisme-milieu avec
la diminution de l'entropie interne de l'organisme; un mode structural-phénoménologique
capable de créer une certaine énergie suivant le
trajet: information Æ significations
phénoménologiques Æ couplage
avec l'orthomatière Æ
génération de particules munies de l'énergie
profonde "infiniment" disponible, ces particules étant
organisées en quelque sorte aussi autour de d'organisme
vivant. Dans ce dernier cas, la compensation thermodynamique n'est
plus aussi certaine, ce qui signifie qu'il est possible que des
effets anti-entropiques absolus se manifestent.
Le principe de l'universalité ontologique de l'énergie
embrasse des manifestations énergétiques reconnues
par la science contemporaine, de même qu'il laisse ouvertes
des virtualités énergétiques que les recherches
de demain étudierons parce que, justement, l'énergie
est un ingrédient primordial du monde matériel.
[Chapitre 3]
[Section 3.1]
[Section 3.2]
[Section 3.3]
[Section 3.4]
[Section 3.5]
[Section 3.6]
[Section 3.7]