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Section 3.2

Principe de l'autocohérence de la matière
principe (II)




Le principe de l'autocohérence de la matière exprime une position philosophique matérialiste, en accord avec la pratique scientifique classique, notamment que la matière n'a besoin de rien en dehors d'elle-même, pour se déployer en tous ses processus jusqu'aux formes les plus hautes de conscience; de plus, elle ne peut provenir d'autre chose, d'un immatériel hypothétique. Le principe de l'autocohérence affirme donc la propriété fondamentale de la matière de s'appuyer sur elle-même, autrement dit que

la matière,avec ses propriétés et ses conséquences,se suffit en soi.

(principe II,a)

Puisque rien n'existe hors de la matière, tout ce qui existe est à l'intérieur de la matière. Ainsi, le mouvement de la matière, dans le sens le plus général, se produit à l'intérieur de la matière et, de même, l'information, les processus mentaux, l'intelligence, l'esprit, la conscience, la société, l'âme peut-être même sont au-dedans de la matière, parfois en étant la matière elle-même, parfois en étant manifestation dans la matière, d'autres fois encore les deux à la fois.

Le principe de l'autocohérence de la matière équivaut à celui de la matérialité totale de l'univers: tout ce qui existe est matière ou processus au sein de la matière. Considéré en lui-même, un processus au sein de la matière est lié à l'information laquelle, bien qu'elle ne soit qu'un processus, peut être considérée à part à cause de l'importance de son rôle dans la matière. Affirmer que le monde est matériel équivaut à dire que le monde est matériel-informationnel sans dualité. La matière et l'information sont alors des ingrédients séparés venant, chacun de son côté, former le monde, tout en reconnaissant le rôle majeur de l'information dans la matière et même en lui accordant un certain degré d'indépendance relative et une possibilité d'action sur la matière (au sein de la matière, bien entendu). En dernière instance, tout provient de la matière et de l'information dans la matière, sous-entendant par là que la matière est à la fois substance (à ce titre, elle a des propriétés "substantielles") et énergie.

A présent, une seconde distinction importante est à faire dans le cadre de la philosophie orthophysique. La première distinction, présentée plus haut, concerne la différence entre l'énergie de l'univers et l'énergie profonde de l'orthomatière. La deuxième distinction concerne la substance: la matière profonde doit être envisagée comme une substance différente de la substance de l'univers. Dire que tout provient de la matière (et de l'information dans la matière) signifie que tout provient de la substance, de l'énergie et de l'information de la matière. Si on envisage la matière profonde, tout provient trivialement de la substance profonde, de l'énergie profonde et de l'information phénoménologique.

David Böhm [1957] débute ses considérations philosophiques en énonçant un principe: "n'importe quelle chose provient d'une autre et donne naissance à une autre". Pour lui, ce principe est plus fondamental que la causalité et assure les bases "de notre possibilité de comprendre la nature rationnellement". Ce principe peut en effet servir de critère pour la rationalité de la science structurale-phénoménologique, mais il contient en soi aussi la causalité, celle-ci étant comprise dans un sens beaucoup plus large, ainsi que nous le montrerons à la fin de ce chapitre. Pour David Böhm, la rationalité peut dépasser la causalité parce qu'il envisage la causalité d'une manière fort restreinte, très proche de la causalité strictement déterministe. Mais si la rationalité se base sur une causalité largement comprise (une causalité probabiliste, mais aussi indéterministe, donc éventuellement fortuite), alors le rapport rationalité-causalité exige d'être réexaminé.
Le principe de David Böhm proclamant "le caractère rationnel de l'existant" et, par là, le caractère rationnel de l'entendement humain, se heurte à une difficulté dès qu'on veut l'analyser: la "n'importe quelle chose" dont il parle ne peut être aussi la matière profonde parce que cette dernière ne provient pas "d'autre chose". Si nous prenions au pied de la lettre l'assertion de Böhm, alors cela voudrait dire qu'il nous faut chercher une autre chose, antérieure à la matière profonde, ensuite à cette autre chose une autre encore antérieure, et ainsi de suite à l'infini. Pour éviter cette suite infinie, nous pourrions admettre que la matière profonde a la forme d'un cercle, nous disons ici un anneau, auto-cohérent de phénomènes où aucun n'a de rôle-source, comme si du néant apparaissait un des objets du réel et que celui-ci déterminait tout l'enchaînement rationnel du réel.

C'est pourquoi le principe de la "rationalité de l'existant" doit être complété par l'ancrage de tous les éléments de la réalité dans la matière profonde. D'où une nouvelle formulation du principe de rationalité de l'existant: "n'importe quelle chose provient d'autres choses et donne naissance à d'autres choses, sauf

la matière profonde qui ne provient pas d'autre chose et dont, en dernière instance, toutechose provient.

(principe II,b)

Les objets du monde matériel sont disposés en paliers et ceux-ci, à leur tour, sont disposés dans un anneau du monde matériel ancré dans la matière profonde, voilà bien le modèle, qui s'accorde au principe de l'autocohérence (II) et de la rationalité de l'existant (II,b). Aucune philosophie matérialiste, à l'exception de l'orthophysique, n'a conçu, jusqu'à ce jour le monde en anneau. Un anneau qui part de la matière profonde, se déploie en paliers microscopiques ou macroscopiques du monde physique, puis dans le monde biologique et dans la conscience pour, finalement, revenir à la matière profonde. L'ontologie archaïque du Rigvéda semble vaguement esquisser un anneau du monde matériel, dont l'image serait: eaux primordiales Æ Indra Æ Agni Æ eaux primordiales, où les eaux primordiales sont l'équivalent de la matière profonde, le dieu Indra représente l'univers et ses racines en profondeurs et le dieu Agni est le messager de l'univers dans les profondeurs qui peut aussi, éventuellement, agir dans ces profondeurs au nom des hommes. Un anneau de l'existant se trouve aussi chez Hegel mais c'est un anneau non matériel, qui part de l'Idée pour revenir à l'Idée.

Revenons maintenant au matérialisme, avec Mario Bunge [1981] qui considère que le matérialisme a traversé une série d'étapes:

  1. le matérialisme de l'Antiquité centré autour de l'atomisme grec et indien;

  2. la réapparition du matérialisme atomiste, au XVIIème siècle (particulièrement avec Gassendi);

  3. le matérialisme du XVIIIème siècle, résultant en partie de la philosophie de Descartes, notamment de ce qui concerne le corps humain envisagé dans la dualité raison-corps (Helvetius, d'Holbach, Diderot, La Mettrie, Cabanis);

  4. le matérialisme allemand et anglais du XIXème siècle, lié aux grands progrès de la chimie et de la biologie;

  5. le matérialisme dialectique et historique;

  6. un matérialisme académique et libre de toutes attaches, "d'ailleurs fort hétérogène", cultivé spécialement par les philosophes australiens et américains.

Mario Bunge en conclut que "le matérialisme est encore en enfance, bien qu'il compte des milliers d'années d'âge". Le fait est que jusqu'à présent le matérialisme a vécu sa première grande phase, celle reposant sur la matière, vue soit sous forme atomique, soit de substance continue, de toute façon extérieure à la matière profonde. Seules les ontologies primitives, avec leurs "Eaux primordiales", de même que certaines philosophies des Grecs Anciens culminant avec Aristote, mais celles-ci indirectement, renferment l'idée d'une matière profonde. Généralement, ce qui a prédominé ce fut la conception atomiste. Maintenant, la notion d'une matière beaucoup plus subtile rend possible le dépassement du matérialisme atomiste et ouvre une seconde grande phase. C'est précisément dans cette deuxième étape que s'inscrit le matérialisme informationnel de l'orthophysique par la possibilité concrète qu'il offre de dépasser le matérialisme atomiste en l'englobant.La matière profonde et le modèle de l'anneau du monde matériel légitiment de soi le

principe del'unité matérielle du monde.

(principe II,c)

Toutes choses provenant d'une seule et même matière profonde, c'est dire que toutes choses proviennent de cette unité et demeurent en elle. L'unité de la matière est assuré par une propriété concrète, qui est le phénomène informationnel "exister" dans sa composante "exister en soi". Dans tout groupe de phénomènes informationnels de la matière profonde (ce groupe, couplé à l'orthomatière, peut être une partie de l'espace ou une particule élémentaire dans l'univers, ou bien, non couplé à l'orthomatière, peut être conscience mentale d'un organisme vivant de l'univers) se trouve un facteur commun: le phénomène informationnel "exister", indestructible, immuable "en soi" et garant de l'unité matérielle du monde. C'est un processus de la matière, un processus informationnel phénoménologique qui assure l'unité de la matière profonde, tandis que d'autres phénomènes informationnels la font se "diviser", se déployer dans les objets de l'univers. Cependant, la matière qui subit ces processus conserve tout de même son unité et les relations entre ses parties.
Il est clair pour n'importe quel scientifique averti que l'unification des sciences, physique, biologie, psychologie par exemple, ne semble pas se dessiner dans le contexte de la science structurale actuelle et que la connaissance structurale touche à ses limites. L'unité matérielle du monde suppose aussi l'unification des sciences fondamentales mais ce n'est pas possible tant que la matière profonde ne sera reconnue comme telle et tant que les phénomènes ne seront envisagés à un niveau plus profond que le structural. L'unité des sciences sera le reflet de l'unité matérielle du monde due à l'unité de la matière profonde et au déploiement du monde matériel en anneau.

Le principe de la rationalité de l'existant (II,b) qui se réfère à la provenance de toute chose d'une autre et, en dernière instance, de la matière profonde, et qui, de fait, est aussi un principe général de causalité, oblige également à reconnaître un mode général de changement, de transformation des choses. C'est, en effet, encore un principe fondamental:

lemouvement est le mode d'exister de la matière.

(principeII,d)

Les sources du mouvement se trouvent dans la matière profonde, celle-ci étant elle-même en mouvement. Elle n'est pas la source immobile du mouvement, c'est le mouvement qui se produit en elle, au-dedans d'elle. Le principe fondamental du mouvement est le phénomène informationnel "exister" par ses composants "de soi" et "au-dedans de soi". La source ultime du mouvement de la matière est informationnelle, phénoménologique, elle commence par un mouvement de l'information. Et parce que le caractère phénoménologique est aussi physique, on peut tout autant dire que la source ultime du mouvement est de nature matérielle. La formulation du principe (II,d) n'exige donc pas d'être complétée par une référence expresse à l'information, puisque l'information phénoménologique est aussi mouvement au sein de la matière.


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